Pédagogie de la marionnette au CRD de Clamart

Notes pour une pédagogie des Arts de la marionnette au CRD de Clamart

Par Luc Laporte *

Les arts de la marionnette sont héritiers d’une longue histoire et de savoirs faire anciens. Aujourd’hui à la croisée des disciplines du théâtre, des arts plastiques, des arts visuels, numériques ; la marionnette a profondément évolué. Elle se confronte désormais aux problématiques les plus aigües de la création contemporaine et interroge avec pertinence, le statut de la représentation, de l’incarnation, du personnage et de l’acteur. Les arts de la marionnette développent des approches scéniques fortes et singulières notamment par un art distancé de l’interprétation, une culture du regard et des codes de l’image, un mode de narration qui emprunte au langage cinématographique. La marionnette se révèle un puissant outil poétique en singulière conjonction avec l’époque, sa sensibilité et ses interrogations. Incontournable dans le paysage des scènes actuelles, la marionnette est considérée désormais comme un instrument d’écriture et de création théâtrale.  Se pose dès lors la problématique de l’apprentissage et de la transmission.

Les arts de la marionnette relèvent des arts du théâtre.

On parlera d’acteur – marionnettiste.
L’acteur est celui qui agit, le marionnettiste est celui qui montre et instrumentalise. L’acteur – marionnettiste doit avoir la formation du comédien, à laquelle s’ajoutent les spécificités des arts de la marionnette en termes de connaissances et de pratiques.
Comme le comédien, le marionnettiste doit avoir une connaissance de son appareil vocal, pouvoir articuler et projeter un texte de manière à être entendu. Il aura une connaissance de son corps afin de pouvoir l’utiliser dans différents styles et esthétiques. Il devra être capable d’utiliser tout ce qui en lui participe de sa présence : voix, corps, temporalité, spatialité. Il devra avoir une capacité d’analyser un texte suivant sa dramaturgie. Il devra faire preuve d’une ouverture culturelle et sensorielle de manière à approcher tous les sujets. Il devra être capable de pouvoir dissocier sa personne du personnage tout en sachant nourrir le personnage de sa personne. Si le comédien est son propre instrument, l’acteur marionnettiste utilise des instruments extérieurs à lui. Il interprète une partition où la marionnette et l’objet sont les outils artistiques de la représentation.

Tentative de description des compétences de l’acteur marionnettiste

0/ Un corps pour la scène

Un travail sur le corps de l’acteur fait partie intégrante de la formation. Des techniques inspirées par le mime corporel, les arts martiaux, le taï-chi sont mises à contribution.

  • Axe du corps, verticalité, centre de gravité
  • Respiration, fluidité, mouvement, déplacement
  • Flux et reflux énergétique
  • Geste, mouvement, attitude
  • Articulation, ponctuation, du mouvement
  • Dissociation, segmentation du geste
  • Travail vocal

1/ Le marionnettiste interprète

  • Posture de l’acteur marionnettiste face à l’objet
  • Notion de présence et de retrait
  • Dialogue inanimé/vivant,  objet/sujet,  manipulé/manipulateur
  • Le décentrement. Je est un autre
  • Transfert des énergies
  • Jeu diffracté ou délégué. L’acteur et ses doubles
  • Distanciation, identification, stylisation
  • L’espace double ; l’espace poétique – la fiction, l’espace technique – la manipulation .


2 / Le marionnettiste instrumentiste
Pratique des techniques de manipulations classiques, dans l’espace, en castelet ou sur table.
Plusieurs types de marionnettes sont étudiées : style bunraku, marionnettes à gaines, à tiges, marionnettes-sacs ainsi que la manipulation soliste et la manipulation chorale (plusieurs manipulateurs par marionnette), manipulation cachée et manipulation à vue.
Le travail s’inspire des gammes traditionnelles du marionnettiste (grammaire Gervais pour la gaine). Cette pédagogie repose sur l’imitation, la reproduction, sur « le refaire » jusqu’à la parfaite acquisition du geste technique. Les gammes sont pratiquées d’abord comme exercices puis par improvisation sur une grille de canevas et de situations.
Exercices et grammaire de manipulation :

  • Prise de la poupée, main droite, main gauche, équilibre, poids, gravité
  • Prise des jambes et bras
  • Mouvements têtes, jambes, bras, mains
  • Axe du regard, les yeux du corps
  • Etude des attitudes, gestes, et déplacements spécifiques à chaque marionnette
  • Marches, courses, acrobaties et mouvements métaphoriques
  • Elaboration d’un langage suivant les possibilités de chaque marionnette
  • Valeur du signe, rythme, ponctuation, vitesse, ralentis et suspension
  • Appel, impulsion, points d’appui
  • Entrées de scènes, chorégraphie (manipuler comme on danse)
  • Travail vocal


3/ La marionnette, sujet parlant
Ici se pose la question de la relation entre la marionnette et la parole ou comment faire pour que la marionnette soit parlante et donne l’illusion qu’elle porte un texte ?
Notre réponse est dans la notion du « phrasé », théorisée par Alain Recoing.  Je cite de façon non littérale :
« La manipulation est le contraire de l’agitation. Il s’agit d’articuler le mouvement comme un langage, en particulier dans le rapport de la manipulation et du texte. Le travail du marionnettiste consiste à organiser rigoureusement, comme une partition, le mouvement de la marionnette afin de produire des signes immédiatement significatifs pour le spectateur. Cette partition est faîte d’une chaîne d’association de signes qui dans un enchaînement logique, propose une interprétation et un choix dramaturgique. L’objectif est de trouver le phrasé du texte par le mouvement. Le comédien phrase un texte par la respiration. Le marionnettiste doit transposer ce phrasé de la respiration dans le mouvement de la poupée par le choix de un ou deux mouvements significatifs par bloc ou portée de sens. Il peut utiliser l’attitude, le geste, l’arrêt sur image, l’ellipse métaphorique, le ralenti, mais il s’astreint à donner une impulsion physique en début de phrase et à arrêter le mouvement exactement en même temps que la parole. La règle est que la marionnette qui parle bouge et agit. L’autre ou les autres écoutent et sont immobiles. Toutes les règles sont enfreintes par exception qui les confirme. »


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/ Le marionnettiste : montreur et chaman
Il s’agit de répondre à la question de comment faire vivre un matériau inanimé et d’expérimenter les différentes valeurs du rapport manipulé/manipulateur. Les fondamentaux de la manipulation peuvent être acquis par des exercices ludiques qui sollicitent à l’infini, par l’improvisation, la créativité, la fantaisie et l’imagination des élèves.
On peut faire théâtre et marionnette de tout.
Une large palette d’exercices et de jeux est proposée : le « tout sauf ça », le détournement d’objets, les mimes avec ou sans objets, les manipulations fictives, le jeu des sculpteurs, les tableaux vivants, la manipulation de corps, la manipulation à distance etc, etc.
Improvisations avec matériaux ( kraft, mousse, tissus, argile, plastiques …)
Transformation et animation de matières.

    •   Création d’univers, de climax
    •     Création de personnages.
  • Travail sur l’illusion
  • Faculté d’animation et de transposition
  • L’interprète se montre et s’efface
  • Alternance et composition
  • Partition rythmique
  • Solliciter l’imagination, la fantaisie, la réactivité par l’improvisation, l’exploration de différentes techniques narratives et modes de représentations avec marionnettes, par exemples : théâtre récit avec l’objet en illustration, en contre point ou en résonance /
    théâtre épique avec l’objet en effigie /
    théâtre de situation avec l’objet comme sujet actant.


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/ Dramaturgies et écritures marionnettiques

  • Un pas vers la création :
    – La mise en marionnette d’un texte.
    – Une écriture séquentielle, le plan et la séquence-

   – Dramaturgie du signe et de l’image
   – Appréhension de dramaturgies non textuelles
   – Notions des échelles et du plan
   – Art du montage, une écriture cinématographique
   – Notion des figures de style (allégorie, ellipse, métaphore, etc.)


6/
Elargir notre horizon artistique
L’acteur marionnettiste doit acquérir différents types de connaissances qui répondent à trois besoin : 1/celui d’acteur marionnettiste 2/ celui de constructeur 3/celui de metteur en scène.

  • développer des compétences techniques afin de pouvoir approcher l’objet dans ses structures mécaniques et connaître les matériaux qui le composent
  • développer des capacités de mise en scène et d’auteur créateur de spectacles
  • élargir sa culture artistique, sa connaissance des écritures contemporaines et disposer de connaissances dans les arts plastiques et l’histoire de l’art.
  • connaître l’histoire des traditions de marionnettes en Europe et dans le monde


* Luc Laporte est metteur en scène à la Cie Contre Ciel. Sa pratique s’inscrit dans la dynamique actuelle du renouveau des arts de la marionnette. Il participe au sein de THEMAA, l’organisation professionnelle des marionnettistes, à la commission « formation ». Certains points figurant ici sont issus des travaux de cette commission.