LE PIED DE LA LETTRE

LE PIED DE LA LETTRE

Les pieds sont les prolétaires du corps 

Antonin Artaud emploie parfois cette expression,  au pied de la lettre.  Avec Evelyne Grossman, l’on peut dire qu’il écrivait au pied de la lettre.  Dans son écriture vocalisée, la lettre est dite, proférée, chargée de corporalité, jetée sur le papier, dessinée comme une matière, une glaise à modeler. 

Il n’y a pas d’esprit, pas plus à l’homme qu’à la lettre, il y a le corps des mots pris dans leur littéralité et la vibration sonore. Les mots ainsi que l’être sont une surface sans profondeur ni au-delà.  Artaud croit en la magie, à l’étrange pouvoir des mots, à leur efficacité.  Les mots nomment, manifestent et agissent la vie. Dans sa vision du théâtre, on retrouve un écho du pied de la lettre : le théâtre est un acte dans l’espace, un langage physique à base de signes. De même la marionnette est au pied de la lettre, elle n’est que matériaux, finitude et impossible. Elle s’anime dans le concret de l’action, dans la matérialité de l’acte.

La mise en scène entend faire du pied de la lettre un mode de représentation, une forme naïve de figuration, une mimêsis décalée. 

Le pied de la lettre est le geste marionnettique d’une lecture analphabète, le savoir d’un non-savoir; montrer la chose, la toucher, mettre les doigts dans la plaie. Il s’agit de représenter avec obstination les figures fantasmatiques qui peuplent le palazzo mentale du poète. Le prendre au mot. Matérialiser les doubles, les fantômes, les êtres, succubes, incubes, animalcules, les filles de cœur à naître, le docteur, etc. De même les métaphores au pied de la lettre : montrer le corps sans organe, le rituel des addictions, de la misère, de la maladie ainsi que la danse du tutuguri. Le pied de la lettre rend aux choses leur réalité concrète, nue et première. De la lettre, le pied dit l’argile, la boue et la fange.                                                                                        

″Il va de soi que la magie et l’ésotérisme sont des sornettes et que la vie est bien telle qu’on la touche, qu’on la subit et qu’on la voit.″

A-A