Atelier

Le masque et moi sur le divan du monde.

Il me faut commencer par la fin, formuler pourquoi je ne fais plus de masques. J’ai consacré une quinzaine d’années au masque. Je l’ai rencontré par Jean-Marie Binoche au Théâtre École de Montreuil en 1978.  À cette époque il créait le Théâtre Ecole de Masques avec Cyrille Dives, auprès de qui je suis resté 3 ans comme élève. La dernière année, j’animais l’atelier fabrication pour les enfants et je tournais avec Cyrille et Didier Mouturat une exposition-animation où nous jouions des extraits d’une farce du Moyen Âge (La farce du Chaudronnier) dans la tradition des Comédiens-Routiers et d’Olivier Hussenot. Par la suite, j’ai découvert le masque en cuir et la Commedia dell’Arte avec Stefano Perocco et Carlo Bosso. J’ai beaucoup travaillé cette technique comme fabricant et acteur. L’acmé de mon activité de facteur fut la réalisation de masques pour L’Illusion Comique mise en scène par Giorgio Strehler à L’Odéon. De mon travail, il ne garda qu’un nez en cuir pour Matamore… Puis ce fut la rencontre avec Mas Soegeng et le masque balinais qui me fit séjourner plus d’un an à Bali où j’étudiais la sculpture des masques en bois et la danse masquée. Puis plus rien, quelque chose du masque se brisa, sa magie n’opérait plus, comme un mirage s’estompe à force d’être inaccessible. J’étais confronté d’abord à mes propres limites. Je ne reproduisais que des formes éculées sans en transcender le canon. Mon dialogue avec la matière était laborieux, je subissais sa lourde inertie et n’atteignais que trop rarement le geste alchimique qui transforme en or ce que l’on touche. Sollicité par d’autres activités, la mise en scène et la direction d’une compagnie,  je ne trouvais ni le temps, ni la sérénité d’approfondir la technique par d’incessantes gammes au dessin, modelage, taille directe, par l’expérimentation de matériaux, par la recherche et la documentation comme ce métier d’art l’exige. J’avançais seulement au gré des commandes et j’étais intérieurement insatisfait. En y repensant, j’ai le sentiment que la fabrication de masques comblait en moi une obscure et vaniteuse jouissance démiurgique : créer quelque chose de ses mains. Ces longues heures solitaires et silencieuses passées dans le dialogue avec moi-même et la matière, m’étaient thérapie et justifiaient ma présence au monde. L’autre point de rupture concerne l’utilisation du masque et le rêve d’un théâtre de masques … mais ceci est une autre histoire.  Depuis le plaisir de la sculpture est revenue, toujours là … ainsi que le masque et son énigme.