LE LIEU SCÉNIQUE
« Cela peut se passer pendant le jour, mais cela se passe de préférence en général pendant la nuit …/… d’étranges forces sont soulevées et amenées dans la voûte astrale, dans cette espèce de coupole sombre qui constitue par dessus tout la respiration humaine » A-A
L’espace scénique est un castelet, le lieu où l’on voit les marionnettes, où l’on montre le monde. C’est un cadre, une convention, une limite. Des contraintes inhérentes au genre naît la liberté infinie de la marionnette. Dans cet espace, le corps des acteurs manipulateurs n’est vu qu’en partie pour le tout. La volonté n’est pas de cacher absolument le manipulateur ni de mettre en scène la relation de celui-ci avec l’objet.
Les choix scénographiques donnent l’échelle et déterminent la taille des marionnettes. Le dispositif scénique doit offrir la possibilité d’articuler différents niveaux de représentations, plusieurs types de manipulations; en particulier des marionnettes manipulées par derrière sur table, des marionnettes à tringles manipulées par au-dessus et des marionnettes à tiges, manipulées par en dessous, ainsi que des projections. Il doit y avoir des surfaces, des aplats, des transparences pour recevoir les images projetées : théâtre d’ombres, jeux de miroirs, images vidéo, rétroprojecteurs etc.
Pour l’imaginaire, disons que nous sommes en 1948 dans le pavillon que A.A occupait à la maison de santé d’Ivry lors de son retour à Paris après les années d’hôpital à Rodez. C’était un vieux pavillon un peu ruiné, fin 18iéme, isolé à l’écart dans un parc avec de grands arbres où, disait A.A, Gérard de Nerval se promena avant d’aller se pendre… Sur les murs, on voit des dessins, comme des graffitis de prisonnier, gravés à la pointe, des mots tracés au charbon, à la craie.… Il y a possiblement une fenêtre, un miroir, un lit d’hôpital en fer, disons l’idée de celui au pied duquel A.A fut trouvé un matin, assis prés d’un flacon de chloral, mort par overdose. Il y a un magnétophone à bandes qui tourne dans le vide, un billot de bois dans un coin, un baquet en métal, des ustensiles percussifs, casseroles, objets et probablement les signes de son activité d’écrivain. L’endroit pourrait à la fois tenir de la cellule d’enfermement, de la chambre, lieu d’écriture et de vie, du studio d’enregistrement radiophonique, d’un bloc opératoire, salle d’hôpital, mais aussi labyrinthe intestinal, grotte utérine … C’est un espace ambigu, dédaléen, simultanément intérieur et extérieur pouvant conjuguer différentes strates de conscience et de réel. Nous ne pouvons dire exactement où nous sommes.
A cet égard le texte est parfaitement fluctuant et indécis. Le personnage est-il à l’asile, est-il dehors ou dedans. Qu’importe, le personnage est complètement ici et totalement ailleurs et ici comme ailleurs, on perçoit la prégnance d’une menace diffuse tapie dans le hors-cadre. Le hors-cadre est ce qui est présent sans être montré. Ici le signe de l’oppressante présence de la Médecine, de la Société, des Etres, des Flics, du Docteur, tout ce qui constitue une part de l’univers mental, gothique et paranoïaque, de A.A.
La scénographie, dans ses contraintes spatiales, ses cadres, pourrait évoquer l’idée d’enfermement, d’étouffement, de mutilation auxquels, selon A.A, le corps humain est soumis dans le carcan de son anatomie. Mais la scénographie doit également rendre compte de la dimension de l’infini auquel aspire A-A. Il est intéressant de noter que jamais, si ce n’est à l’hôpital, A-A n’eut d’habitation à son adresse comme si le monde lui était un espace inhabitable, et que sa véritable maison serait le néant, les trouées fulgurantes dans la surface du réel, les espaces inconstitués d’une pensée vertigineuse.
Le dispositif rêvé serait celui d’une surprenante machine à jouer, marionnettes et images, qui offrirait la possibilité de plans et d’espaces différents et qui dirait l’enfermement ainsi que la liberté infinie de penser. Cet espace de jeu peut être imaginé comme un castelet homogène ou alors comme castelet éclaté dont les espaces de jeu seraient révélés par la lumière.
Quelques propositions sous forme d’esquisses de lieux, de moments, d’éléments :
1/ Une arche de pierres, une ruine comme une voûte. Il y a de la lézarde, du visqueux, du moussu, on pressent le ventre de la baleine. C’est un finistère à l’avant poste de « l’infini dehors » et de « l’infime dedans », un espace mental et abstrait, une ruine de l’esprit.
2/ Un intérieur de cellule, une chambre, un lieu de vie avec une représentation de la matérialité du vivre, du manger, du chier, du dormir, tout ce à quoi les corps n’échappent pas. Une réflexion sur le réalisme pris sous l’angle du surréalisme.
3/ Un étroit et large vasistas en hauteur, une fenêtre, comme dans un couloir d’hôpital ou une vitre de studio d’enregistrement. C’est un espace, un élément qui dirait le hors-cadre, la présence du dehors, un espace de projection, de transparence.
4/ Le lieu des apparitions et des séquences où l’on jouerait des changements d’échelle comme le moment de la tête « muppet ». Cette tête, d’une trentaine de centimètres, représentant A-A, est confrontée à un docteur de quinze cm. Elle s’inscrit dans un cadre « plan américain » qui peut-être conçu comme un castelet à bande où se jouent des « gros plan » ou suivant les proportions des « plans lointains ».
5/ Dans le dispositif doit être pensé en autres mécaniques celle de la machine à électrochocs, celle du placard au vieux corps…
6/ l’idée de construire une table de manipulation dont l’éclairage viendrait par le bas, du sol de la table, à travers des plaques de plexi ou une surface en grillage.