Préambule

« Ce qui importe ce n’est pas de savoir comment être, mais de comment bien faire caca »  

A-A  in  Suppôts et Suppliciations

Nous avons pénétré l’œuvre d’Artaud avec les yeux des simples d’esprit, de l’analphabète,  avec l’accent du Bougnat et la foi du charbonnier.

C’est-y lisible? Avant de lire, l’indécrottable entend. C’est inaudible, quand ça parle, un corps au sexe incertain grimace horriblement autour des mots. De quoi ça parle? Il ne peut le dire, mais ça parle, intensément. Cette voix bouleverse. On y entend le fracas du monde, la guerre au monde, la guerre en soi. Alors entre pitié et terreur, le simple rie du pauvre quichotte, du buster qui tonne. Un rire proche de l’effroi, tragique et burlesque. 

Entre chaos et néant, quelle incarnation, quel corps pour articuler ce cris ? Qui, si ce n’est un pantin, un vieux machin sorcier brut et sauvage, trop humain à se coltiner l’irreprésentable ?

La marionnette est l’analphabète du théâtre. Elle a une tête, deux jambes, deux bras mais pas d’alpha ni d’oméga. Elle est dans l’impossibilité de dire, dans l’absence endémique de toutes pensées. Elle signe l’énigme de l’être et donne figure à ce corps sans organes, sans gravitation ni affectation. Juste une surface sans profondeur dans la présence de sa matière inerte, un équilibre entre vie et mort, à la conjonction du monstre et du sublime.

L’anal fa le bête prend les choses au pied de la lettre, le corps au pied du geste, au pied de l’être. Volontiers il regarde le doigt et non la lune. Que l’on évoque le creux de l’être et ses fantômes prennent corps. Le bête, comme la marionnette, veut voir du mot la chose. Qu’on la lui montre. Représenter est acte de magie au pied de la lettre. Les images sont des simulacres et le théâtre, un acte dans l’espace. À ce jeu de la représentation, la marionnette, quand elle ne joue plus à la poupée, est à ce point de magie. Sa conjonction, avec dignité, grâce et gravité, plus que ne le pourrait l’acteur, signifie le noyau archaïque, irréductible et insondable, qui agit l’homme et se dérobe à la connaissance.

Ainsi Dédale dans le corps de l’œuvre, nous avons cheminé suivant la piste marionnettique. Nous avons détaché de ce soi-disant corps des blocs significatifs pour construire non pas un caractère mais un organisme d’homme et montrer la complexion fulminante des particules et des signes à l’oeuvre. Ce travail théâtral opère la matérialisation réelle d’une figure et de ses doubles nommée A-A, être intégral de poésie qui nous réapprend à danser dans le délire des bals musettes.