UN TRAVAIL SUR LE BURLESQUE

Prenons l’exemple d’un homme qui tombe.

Si l’on montre son visage en gros plan, c’est tragique.

Si on le voit tomber en plan moyen, c’est comique.

Si on élargit le cadre au plan d’ensemble, cela redevient tragique.

Si l’on ouvre encore au plan général, c’est comique à nouveau.

Le burlesque est une forme du comique porté à son extrême.

À cet extrême, le burlesque est un genre d’essence tragique.

L’art tragique, disait Nietzsche, veut nous convaincre de la joie inépuisable de l’existence. 

Le burlesque  c’est l’Homme dans l’univers. Il est lié à la métaphysique par une émotion, une attitude qui tend toujours à la métaphore : l’homme face à la vie, la matière du monde, sa finitude, un grain de sable dans la mécanique. 

Le héros burlesque est seul contre tous. Les raisons de ses actions sont secondaires, seules comptent la beauté du geste et la grâce de la chute. 

Artaud est un personnage burlesque « border line », son expérience des limites bouscule, renverse, désordonne le décor. Son corps explose, fulmine, trépigne, se désarticule, devient élastique, électrique, incandescent. Il tombe et se relève, obstinément meurt et renaît. Sa folie fait peur. Il n’est pas convenable, pas acceptable, impoli, sans aucune mesure, scatologique, obscène, paranoïaque. 

Il endosse l’habit du fou, le frac de Keaton, les haillons de Quichotte, et met à nu ce qui est caché et devrait le rester. Seul un mômo, moqué, écorché, se heurte ainsi à la société et naufrage sa vie pour la postérité.

Pourquoi rire ? parce que cul par-dessus tête. Seuls les excès font rire.

Comique l’obstination à exprimer l’inexprimable d’un mot tellement énorme qu’il reste coincé dans les cordes de la gorge à rugir comme un fauve pris au piége de sa patte qu’il ronge.

Comique la pugnacité à cogner les portes de l’indicible.

Comique quand sur le Washington, retour d’Irlande, il se bat à coups de clef anglaise, et se déclare « combattant-né » et ne succombe pas à deux coups de couteaux dans le dos et quelques coups de barres en fer sur la tête. 

Comique la langue de syllabes émotives aux tessitures vertigineuses, qu’il scande, frappant du marteau le billot de bois ou bien tournant comme une toupie tout emplumée et psamoldiant des glossolalies tarahumaras. 

Comique l’ « analphabète indécrottable du simple qui est homme et ne comprend pas »

et va sans cesse répétant « qu’est-ce que la vie, où sommes-nous, qu’est-ce qu’il y a ? ».

Comique sa révolte, sa colère, sa parole irrépressible, dire, ne jamais se taire, 

« ne jamais se laisser mettre au cercueil », un survivant, un que l’on met à la porte 

et qui revient par la fenêtre. 

Peut-on rire du pauvre fou et de quel rire au regard de l’éthique compassionnelle ?

Rire pour la survie, rire contre le gouffre. 

Le burlesque regarde l’homme comme une silhouette de dessin animé, un pantin, une chose qui s’agite dans le lointain. Il nous libère d’un regard culturel de la douleur, de la subjectivité, d’un pathos post-romantique.                                                                                                                                                 Luc Laporte

 Le rire naît toujours d’un écart à la norme, d’une surprise du regard ou de l’ouïe. Brusquement, le réel explose, sa carapace se fendille. Le langage dérape. L’ordre établi vacille, pour un moment plus ou moins bref. Le corps prend sa revanche : il échappe aux interdits édictés par la société, il se met en action, il se désarticule ou il défie les lois de l’équilibre, il libère des bruits et des gestes généralement réprimés. ″  Robert Abirached