Lettre aux ayants-droit

Paris, le 17 juillet 2008

A Monsieur Serge Malausséna

Cher Monsieur,

Je vous écris sur la recommandation de David Ayala qui m’a communiqué votre adresse. Vous ne me connaissez pas, je suis marionnettiste, metteur en scène et directeur artistique de la Compagnie Contre Ciel, créée à Paris en 1995. Mon travail, modestement mais avec obstination, participe du renouveau actuel des arts de la marionnette.

La marionnette a profondément évoluée. Elle se confronte désormais avec pertinence aux problématiques les plus aigues de la création contemporaine et interroge de manière pour ainsi dire ontologique, le statut de la représentation, de l’incarnation, du personnage et de l’acteur. Sa position d’objet inanimé, manipulé et vivant, matérialise la plus évidente épure de la convention et de la métaphore théâtrale. Elle se révèle un puissant outil poétique en singulière adéquation avec l’époque, sa sensibilité et ses interrogations.

J’ai le désir de mettre en marionnettes certains textes d’Antonin Artaud, ceux de la dernière période, dite du retour à Paris. Je vois dans cette écriture, dans ce qui se dit et comment cela se dit, une extraordinaire matière à recherche ainsi qu’un accomplissement à la nature profonde de la marionnette. Artaud creuse sans cesse la question de l’homme et de la vérité du monde. A son questionnement sur l’être, sur l’apparence et la surface, sur la réalité d’un au-delà, sur l’incarnation, le corps, ses doubles et ses organes, la marionnette, dans sa conjonction même, offre non seulement une représentation possible mais une troublante mise en abyme. Dans le montage de textes, que je vous soumets, les thématiques récurrentes de l’enfermement, de l’oppression, de la folie, de l’addiction, de la sexualité, de la religion, constituent les éléments d’un organisme en ébullition et tracent les contours d’une figure rêvée qui aurait pour nom A-A et que l’on nommerait, combattant-nè. C’est avec un infini respect, humilité et tendresse que j’aborde le personnage et l’oeuvre. Donner à entendre cette écriture et son extravagante actualité quant à la santé du monde et de l’humanité, agit pour moi comme un électrochoc. Le projet de mise en scène serait d’élaborer une forme naïve de représentation, une mimésis décalée, inspirée par une lecture analphabète au pied de la lettre, notions chères à Artaud à cette époque. Il s’agirait de travailler sur la sensation, de capter des forces invisibles, de les matérialiser, de rendre aux choses leur réalité concrète, nue et première et de jouer avec le trop vrai de la réalité. J’entends également ici mener un travail sur le burlesque comme genre d’essence tragique. Vous trouverez développées ces intentions dans les documents joints à cette lettre ainsi que quelques précisions sur le montage des textes en particulier sur la création du personnage du « docteur ». Pour cette création, je me suis entouré d’artistes talentueux, musicien, scénographe, éclairagiste, créateurs de marionnettes, qui pour certains me sont de véritables compagnons de route. La distribution des acteurs marionnettistes est en cours. Ce projet revêt pour moi une importance particulière. Outre le fait de confronter la marionnette à un auteur cardinal de la littérature française, il représente dans le parcours artistique de la compagnie un moment essentiel, celui de notre première création exclusivement à l’attention d’un public adulte. Depuis sa création, la Compagnie Contre Ciel s’adressait, avec exigence et conscience, au « tout public », enfants et parents réunis dans un même plaisir de théâtre. Ces spectacles, créés sur des textes originaux commandés à des auteurs vivants, ont bénéficiés de l’aide publique (ministère, Drac etc.), ils ont beaucoup tournés et ont étés accueillis très favorablement par la presse (voire dossier ci-joint).

En ce qui concerne la production du spectacle, Avis de messe marionnettique ( titre faisant référence à l’émission radiophonique, Pour en finir avec le jugement de dieu), je me donne la saison prochaine pour trouver les partenaires artistiques et financiers qui permettront une création à l’automne 2009. J’ai de nombreuses pistes, mais je ne peux raisonnablement les solliciter avant de vous avoir contacté. Ainsi, Monsieur, je vous demande l’autorisation d’utiliser les textes d’Antonin Artaud contenus dans le montage ci-joint. Je ne sais si la procédure de ma démarche est la bonne, mais sachez que je me tiens, ainsi que notre administratrice Emilie Lucas, à votre disposition pour les remarques, conseils, demandes que vous voudrez bien nous faire.

Dans l’espoir de votre réponse, je vous prie, Monsieur, de recevoir mes plus sincères et chaleureuses salutations.

Luc Laporte