ARTICLE POUR THEMAA
MARIONNETTE ET JEUNE PUBLIC
La marionnette a longtemps été considérée comme un art mineur destiné aux enfants.
C’est comme une double peine : une forme pauvre et minimale d’un presque théâtre pour un public qui n’en n’est pas vraiment un. Depuis une vingtaine d’années l’image de la marionnette change. Elle a su renouveler ses pratiques, ses formes, sa création, en s’ouvrant aux « arts associés », aux écritures contemporaines et en s’adressant obstinément au public adulte. Ainsi en sortant du ghetto de l’enfance et de son image dévalorisante, la marionnette et le jeune public devint un couple « incestueux » qu’il fallait tenir caché, tout du moins à l’ombre de la nouvelle relation adulte et légitimante.
Ce cheminement se révéla judicieux et nécessaire, car force est de constater que l’art de la marionnette bénéficie aujourd’hui d’un préjugé largement favorable et semble être le creuset d’une formidable créativité qui interroge avec pertinence les pratiques théâtrales contemporaines. Le grand orphelin de cette histoire a été le jeune public qui fut une fois de plus abandonné au manque endémique de reconnaissance de sa nécessité et de sa spécificité. L’on se trouve actuellement dans une situation paradoxale : alors que la marionnette peut légitimement revendiquer une tradition immémoriale ainsi que le statut d’un art théâtral majeur s’adressant avec excellence au public adulte, on constate qu’une part non négligeable de la production marionnettique s’adresse à ce que l’on appelle par conscience ou par euphémisme, le « tout public ». L’on constate également que le théâtre de marionnettes occupe toute sa place dans les programmations « jeune public » des théâtres et que la marionnette est très présente dans les circuits informels de diffusion des bibliothèques, écoles, centres aérés, centres sociaux, de loisirs, etc.
Il faut dire que plus que quiconque la marionnette peut être une pauvresse sans qualité, de peu d’exigence et de moindre ambition. Mais ici, ce n’est pas la marionnette qui est en cause mais bien l’introuvable légitimité du théâtre pour l’enfance. Le paradoxal est que les instances de la marionnette, tout à leur dialogue, yeux dans les yeux, avec l’institution et la reconnaissance publique, abandonnent dans l’in-pensé de la jungle du marché tout un pan de leur activité.
Nombre de marionnettistes et de programmateurs produisent un travail de grande qualité pour les jeunes spectateurs, mais en l’absence de volonté politique publique pérenne, il semble que tout, toujours, soit à recommencer et demeure dans un état fragile et précaire. Il semble même, que face à l’actuelle pression économique et sociale faîie aux professionnels du spectacle vivant et au secteur de la culture, une sérieuse régression s’amorce.
Un peu d’histoire. En 1999, Catherine Trautmann, alors Ministre de la Culture, définit une nouvelle politique du théâtre pour les jeunes spectateurs. Il s’agira de la politique dite de « généralisation par obligation » qui impose, en principe, à tous les théâtres et établissements culturels subventionnés par l’Etat de consacrer une partie, non définie, de leur budget aux activités destinées aux enfants et aux jeunes. La conséquence immédiate de cette politique a été la destruction du réseau des « centres dramatiques nationaux pour l’enfance et la jeunesse », réseau qui avait été initié en 1978 par le Ministre Michel Guy, et dont l’objectif était de créer au moins un CDNEJ par régions. Cette décision, qui fut à l’époque saluée par certains comme l’avènement tant attendu du théâtre jeune public pour tous et par tous, marqua en fait le désengagement financier de l’Etat et le renoncement à la notion de service public, en ce qui concerne le théâtre des enfants.
Cette politique s’est appuyée, s’appuie toujours, sur la vieille querelle « serpent de mer » entre spécialistes et non-spécialistes du théâtre pour l’enfance. Les responsables de la politique théâtrale ainsi que certains élus, ont du mal à admettre qu’un artiste choisisse, comme une priorité artistique, de s’adresser aux publics enfants, et quand en plus il est marionnettiste…double peine. Le théâtre pour les enfants souffre toujours d’un manque de reconnaissance chronique, d’une commisération attendrie à l’égard de ces artistes qui ne jouent pas dans la cour des grands. Cela se lit dans les miettes des budgets accordées à la production des créations jeune public, dans le prix de vente des spectacles et les salaires toujours minimum accordés aux artistes, qui espèrent se rattraper sur la quantité des prestations. ( Et pour les marionnettistes, que dire du fait que le temps incontournable de fabrication à l’atelier ne soit que trop rarement pris en compte par les tutelles.)
Cette querelle est un faux débat visant à opposer la légitimité artistique des uns et des autres et qui sert à justifier le non financement du secteur, puisque, nous dit-on benoitement, le théâtre jeune public est un théâtre comme les autres! C’est certainement vrai, mais c’est bien l’engagement d’artistes et d’auteurs identifiés comme « spécialistes », associés à des programmateurs et diffuseurs, également reconnus comme « spécialistes », qui développent et font vivre le théâtre en direction des jeunes spectateurs et éventuellement de leurs parents. Vouloir effacer la spécificité du genre, c’est nier une histoire, une réalité, une pratique, une recherche, une connaissance, un engagement, un désir qui ne s’improvise pas du jour au lendemain.
Aujourd’hui on assiste à une explosion du théâtre jeune public. Lors des vacances scolaires d’avril 2008, j’ai pu dénombrer à Paris dans L’Officiel des spectacles, près de 60 « spectacles pour enfants » ! Il n’existe plus un seul équipement culturel qui n’ait sa programmation « jeune ou tout public ». De grosses productions internationales pour les enfants tiennent le haut de l’affiche des mois durant et un « Molière jeune public » vient couronner le tout.
Tout va bien donc ! La fabrique de spectacles jeune public tourne à plein. Elle produit des objets, formate des produits, la mode est à la pluridisciplinarité, à la transversalité, au « tout public », le divertissement est à l’infantile, le sens est accessoire, les théâtres programment ne serait-ce que pour remplir à moindre coût le cahier des charges de la fréquentation, bref, pas de doute, nous sommes dans l’économique, le marché, la concurrence salvatrice, la société du spectacle. Les artistes, eux, se retroussent les manches, la demande est forte, l’urgence est à la survie, il faut vendre donc intégrer insidieusement les normes requises. Un spectacle doit être de « qualité », en adéquation avec le public, plaisant, attractif, accessible, pas pessimiste, un peu novateur mais pas trop, un peu difficile mais sans plus, ça doit fonctionner, plaire à tous, aux enfants mais aussi et surtout aux parents et aux enseignants. Face à l’indigence des budgets, les compagnies rivalisent d’ingéniosité, le théâtre pauvre et la récup deviennent une esthétique, les plateaux s’allégent et les fourgonnettes ressortent des mémoires pour de nouvelles aventures exaltantes.
Le problème du théâtre jeune public est aujourd’hui beaucoup plus un problème de diffusion qu’un problème de création. Le système est régi par la demande, c’est à dire l’économique et la volonté politique publique. Celle-ci étant nulle, reste le marché et à l’avant dernier maillon de ce mécanisme, les programmateurs et les diffuseurs, qui se retrouvent investis d’une responsabilité énorme. En fait, il faut bien constater que la création est placée sous la dépendance institutionnelle et économique de la diffusion. La question des rapports entre artistes et programmateurs reste l’un des tabous du milieu professionnel du théâtre jeune public. Le pouvoir actuellement laissé aux programmateurs et aux diffuseurs mérite d’être interrogé. Chacun sait que les comités d’experts régionaux qui évaluent les projets des compagnies sont constitués, à plus de 90% de professionnels de la diffusion. Que l’activité des compagnies est étroitement liée aux évaluations de ces comités, alors que l’activité des diffuseurs, elle, se dispense de toute évaluation. Pour le symbole, le collège en charge de l’attribution du Molière jeune public était, jusqu’à ce jour, uniquement constitué de programmateurs et de diffuseurs. Les programmateurs, eux-mêmes soumis aux coupes budgétaires et à la tutelle des élus depuis le passage généralisé des théâtres en régie municipale directe, développent une stratégie marchande proche de celle de la grande distribution. On casse les prix, on négocie, on fait du dégressif, du prix plateau, du gratuit pour la promo, du package tout compris « spectacle/sensibilisation/actionculturelle », on crée des réseaux à moindre prix, des têtes de gondoles, enfin, on se débrouille, on gère ! Les artistes, qui eux sont le dernier maillon de la chaîne, serrent les dents, vaguement sourient, trop heureux de travailler et intègrent patiemment la dure loi de la jungle.
Le développement théâtral en direction des publics d’enfants ne conserve tout son sens que lorsqu’il y a une convergence d’objectifs artistiques entre créateurs et diffuseurs. Les exemples de partenariats féconds sont nombreux. L’heure n’est pas à la polémique ni aux querelles de la profession. Face à la régression sans précédent des politiques culturelles publiques, la baisse généralisée des aides à la création, les mauvais coups répétés faits aux intermittents ( par exemple, le fait que les heures de pratiques artistiques et d’actions culturelles ne soient désormais plus compatibles avec le statut d’artiste ), l’évacuation de l’enseignement artistique de l’école, face, donc à cette conjoncture nouvelle, il y a une urgence de solidarité, de réflexion, de regroupement, de résistance. Il est temps de réaffirmer les ambitions d’une véritable politique du théâtre pour l’enfance. Les besoins sont immenses, il faut y répondre dans le sens de la nécessaire émancipation artistique et culturelle des enfants dans une démocratie avancée. Il nous faut reparler d’art, de théâtre, d’éducation et des pratiques théâtrales de l’enfant. Le désengagement de l’Etat et le renoncement à la mission du service public signifie, pour moi, la cession aux marchands du secteur de l’enfance et l’abandon de l’éducation sensible et de la construction de l’imaginaire de l’enfant au flot hypnotique des images télévisées. Pour ma part, avec ma compagnie, j’ai adhéré à l’Association du Théâtre pour l’Enfance et la Jeunesse (ATEJ). J’y ai rejoint quelques membres de THEMAA, et l’on y entend des échanges, des réflexions et des propositions passionnantes, lucides et politiques. Je vous invite à consulter sur le site www.atej.net , le livre blanc « Théâtre et nouveaux publics » ainsi que la brochure « La mise en question(s) du droit des enfants au théâtre ? » .
Tout cela nous promet des lendemains qui chantent, mais peut-être pas du refrain que souhaiteraient entendre nos « décideurs ».
Luc Laporte.
Luc Laporte est responsable artistique de la Cie Contre Ciel,
membre de THEMAA, de l’ATEJ et du SYNAVI.